(Texte : Carlo Castagna – Traduction : Mariepierre Boiston)

1) Introduction historique

– Notre visite à l’abbaye de San Pietro al Monte commence au sommet du grand escalier de l’entrée du bâtiment principal, la basilique, qui est dédiée aux saints Pierre et Paul. Ce complexe est, depuis plus de mille deux cents ans, un lieu extraordinaire de culte, de prière et d’art, et renferme le secret d’une histoire fascinante.
– Tournons notre regard vers l’est, c’est à dire du côté de l’escalier par où nous sommes arrivés, nous apercevons, au dessus de la petite chapelle de Saint-Benoît, une chaîne de montagnes : à gauche l’imposant Corno Birone, ensuite, dans l’arrière-plan, le Resegone célèbre et impressionnant, puis en face, le Monte Barro, qui rejoint vers la droite le Mongenesio, pour se terminer avec le Campanone de la Brianza, aux formes arrondies, et de nouveau la pente qui, à coté de nous, arrive enfin au sommet du Cornizzolo, dans l’antiquité appelé Monte Pedale, qui se trouve derrière nous.
– Au pied de ce cirque de montagnes s’étendent, de gauche à droite, Valmadrera et le lac de Annone, presque complètement interrompu par la péninsule de Isella. Au centre, sur une colline verdoyante, se dresse le village de Civate.

2) Origine du monastère

– Le promeneur qui arrive jusqu’ici pour la première fois, après avoir récupéré un peu des forces perdues sur le chemin escarpé qui serpente dans les bois et s’être remis de l’émerveillement de se trouver devant un monument d’une aussi extraordinaire, originale et majestueuse beauté, se demande qui l’a construit et de quand date-t-il.
– Ce n’est pas possible de répondre simplement et rapidement à cette question, parce qu’il faudrait retracer l’histoire de la région depuis des temps immémoriaux, qui remontent à l’âge du cuivre. Rappelons-nous simplement de ceux qui sont passés par ici : les Ligures, les Celtes, les Romains, les Goths, les Byzantins, les Lombards, et finalement les Francs…
– C’est surtout la période de permanence Romaine qui a attribué le nom et une fonction particulière et caractéristique à la région. En effet, fut installée ici une partie de la ligne de défense militaire qui, à partir de Castello di Lecco, contrôlait le territoire jusqu’à Castelmarte, à coté de Erba, pour atteindre enfin la ville fortifiée de Côme, port militaire qui contrôlait le lac. Une série de garnisons de soldats, placée à mi-hauteur sur les flancs des montagnes pour éviter le brouillard hivernal, complétait la ligne de défense chargée d’envoyer des signaux lumineux en cas de danger qui pourrait menacer la frontière du nord.
– Cette ligne de défense contrôlait une route, qui, à l’origine, partait de la lointaine ville d’Aquilée. Pour le parcours qui intéresse notre territoire elle partait de la ville de Bergamo, traversait le village de Olginate, puis le fleuve Adda par un pont en pierre, montait jusqu’à la selle de Galbiate, qui se trouve en face de nous, suivait la partie nord du lac, passait sur la colline de Civate et se dirigeait vers l’ouest, c’est à dire Castelmarte et Como.
– Le point de passage de cette route, sur le pont de la petite rivière du lac de Annone, était la Clavis, c’est-à-dire le point de passage obligé, contrôlé par une garnison militaire. Ce mot est issu du latin Clavis, qui donnera Clavate, et, au fil du temps, Civate.
– Tout ceci est resté pratiquement inchangé malgré l’arrivée successive des Goths, des Byzantins et des Lombards … Puis, à la fin du règne de ceux-ci, a origine la plus ancienne colonie de moines de San Pietro al Monte.
– Les Lombards, installés depuis longtemps sur le territoire, ont commencé une politique d’intégration progressive avec la population locale, pour enfin la convertir au christianisme. Dans ces régions, loin des grandes villes, seuls les moines pouvaient effectuer ce travail de pacification ; donc les Lombards ont favorisé la construction de monastères sur la frontière, au pied des Alpes, depuis le monastère de Non dans la région du Trentino, jusqu’à la Novalesa ou la Sacra di San Michele à l’Ouest.
– Et c’est ainsi que, vers la fin du règne des Lombards, dans la seconde moitié du VIIIe siècle, fut construit ici un premier petit monastère, dédié à Saint Pierre et Paul.
– La légende raconte que ce fut le roi Didier qui le construit pour honorer une promesse faite par son fils, Adalgiso, qui avait perdu la vue au cours d’une chasse au sanglier, et puis miraculeusement guéri.
– Au cours de son histoire, le monastère a connu d’autres reconstructions, au neuvième siècle et plus tard entre le dixième et onzième siècle, adoptant la magnifique architecture romane que nous pouvons admirer encore aujourd’hui. Jusqu’au dixième siècle il y avait seulement une simple église et le petit monastère, dont les bâtiments s’appuyaient contre le mur nord de l’église. Au onzième siècle on a ouvert l’entrée d’aujourd’hui, construit l’escalier, le portique semi-circulaire et a été élevé l’oratoire de saint Benoît.
– Et ce fut ainsi jusqu’à ce que, on présume après la défaite à Legnano de Barberousse, dont l’abbé fût un fidèle vassal, les municipalités dirigées par l’archevêque de Milan détruisirent toutes les habitations du monastère. Seule resta l’église, maison de Dieu.
– Pendant ce temps, les moines avaient déjà construit, dans la vallée, le monastère de San Calocero qu’on peut encore distinguer au milieu du village de Civate. Mais c’est une autre histoire …

3) Architecture et dédicace

– Le style de ces bâtiments, il faut le rappeler, est le style roman lombard: c’est un langage simple avec lequel les moines n’ont pas seulement voulu communiquer la beauté, mais la vérité. Pour cette raison chaque forme et numéro a une signification symbolique plus profonde et idéale: le cercle est le symbole du ciel, la forme du quadrilatère représente la terre et le triangle la naissance et la totalité de toutes images: c’est à dire l’univers…
– C’est ainsi que, nous pouvons voir ici que le grand arc butant, sous lequel nous nous trouvons, est simplement l’image symbolique de cette église c’est à dire l’endroit où le cercle, qui est le ciel, et le tétragone, qui est la terre, se rencontrent.
– Aujourd’hui, nous voyons ces bâtiments, complètement nus, mais à l’origine, les pierres carrées qui les composent, étaient entièrement recouvertes de plâtre blanc et, où cela était possible, de fresques ; les colonnes, y compris celles du porche, décorées de stuc, racontaient une longue histoire de foi.
– Aujourd’hui nous pouvons encore en voir un exemple représenté dans l’image du Christ au-dessus de l’entrée: Il confie à Saint-Pierre et Saint Paul les clés et le livre de la parole. C’est la dédicace de l’église, également appelée en latin traditio symboli. Jadis la tête du Christ était en plâtre, ce qui lui donnait plus de dignité, tandis que son corps est la porte même de l’église, parce que seulement à travers Lui nous pouvons y entrer.

4) Entré et chapelles

– Juste après la porte, deux saints nous accueillent. Ce sont des papes: à droite San Marcello et à gauche San Gregorio Magno. Ils accueillent dans l’église des pèlerins, mais aussi des pénitents. Ils peuvent le faire au nom du Christ, symbolisé par l’image du poisson dans l’eau.
– Au-dessus de la porte, Abraham, père des nations, étreint toute l’humanité.
– Plus haut, dans la voûte, la Jérusalem céleste est la destination finale, la terre promise que chaque croyant, qui se tourne vers l’église, doit s’efforcer de rejoindre.
– Dans les coins on peut lire les noms des quatre vertus cardinales, tandis que le Christ, au centre, a, à ses pieds, l’Agneau, symbole du sacrifice. Des pieds de l’Agneau jaillit de l’eau, qui après se divise en quatre ruisseaux.
– Les ruisseaux, dans la voûte suivante qui a au centre le monogramme grec du Christ, deviennent les quatre fleuves du paradis terrestre: ils sont versés par les quatre personnages qui les représentent et parviennent jusqu’à nous le long des colonnes torsadées décorées en stuc.
– Les balustrades, situés entre les colonnes, représentent deux animaux fantastiques : le Griffon et la Chimère, des symboles du mal, qui s’enfuient apeurés par l’église.
– Sur la droite se trouve la chapelle des Saints: dans la voûte vous pouvez voir les symboles chrétiens des évangélistes, tandis que dans l’abside des trilogies de saints représentent apôtres … prophètes… martyrs… confesseurs … … et enfin les abbés.
– Au-dessus, le Christ, dans un geste de bénédiction et avec le livre de la Parole, est peint à l’intérieur d’une amande polychrome, soutenue par deux anges.
– Sur le côté sud se trouve la chapelle des anges, ils sont au nombre de sept avec des trompettes d’argent (quatre dans la voûte et trois autour du vitrail) et rappellent le septième sceau de l’Apocalypse et le Jugement dernier.
– Dans l’arrière-plan sont maintenant représentés des trilogies d’anges. Ce sont les neuf catégories d’anges, dont les deux , en haut, qui soutiennent l’amande avec le Christ bénissant, sont les Chérubins et les Séraphins qui ont six ailes déployées, avec des centaines d’yeux, le corps couvert de plumes et des roues de feu à leurs pieds. Ainsi les décrivait le prophète Ezéchiel.

5) Nef et fresque du dragon

– Intéressons nous maintenant au corps principal de l’église: la nef. C’est simplement une salle romaine rectangulaire, couverte par une charpente visible. À une certaine période tous les murs étaient peints et ornés d’une frise de stuc, comme, sur le mur nord, là ou n’a pas été recouvert de plâtre
– Les fresques et les stucs poursuivaient les récits sacrés des chapelles, comme le laisse supposer le bas-reliefs sur la balustrade de l’escalier qui descend dans la crypte, merveilleux pour leur richesse figurative et leur sens théologique complexe.
– Les fresques, qui ornent désormais les murs, sont de simples fresques votives réalisées dans une période successive qui va de la fin du quinzième siècle jusqu’au dix-huitième siècle.
– Au dessus de l’entrée se déroule un récit complet du Livre de l’Apocalypse de saint Jean, qui couvre toute l’architecture de l’ensemble du mur, situé dans le précieux cadre d’un arc roman qui réuni les trois arches des petites chapelles.
– Sur la gauche, il y a une femme prête à accoucher. L’événement concerne tout l’univers: le soleil est représenté au-dessus d’elle et un croissant de lune est à ses pieds. Mais le nouveau né est menacé par un gigantesque dragon rouge, à sept têtes et dix cornes.
– Le dragon a des ailes et avec sa terrible queue a déjà fait précipité toutes les étoiles du ciel. Mais voici que, commandées par l’Archange Michel, avancent des légions d’anges qui, en dansant dans un terrible duel, anéantissent le dragon.
– Un ange, au centre du tableau, dépose l’enfant dans l’amande qui est le symbole de la perfection. Cet enfant n’est autre que le vainqueur, le Christ qui est assis majestueux sur le trône.
– Sa tête était sûrement en stuc, pour donner à l’image une grande solennité, mais aujourd’hui elle a disparu. Il reste, par contre, comme pierre angulaire, plus en hauteur sur le grand arc, l’agneau, symbolisant le sacrifice du Christ, toujours vainqueur du mal.

6) Ciboire

– Le presbytère, situé à l’ouest dans l’abside, est dominé par le ciboire: ouvrage d’une étonnante originalité et beauté, qui s’harmonise parfaitement avec les décorations picturales et plastiques.
– Le ciboire est situé au dessus de l’autel, surélevé par rapport au sol de l’église. Le corps d’architecture repose sur quatre fines colonnes élancées.
– Au dessus des chapiteaux restaurés, on peut voir les symboles des évangélistes admirablement exécutés: ils semblent sortir vivant et dynamique de la matière inerte. Le cadre de stuc a la perfection d’une fine dentelle.
– Le ciboire reporte, sur le fronton Est, l’image centrale du christianisme: le Christ sur la croix entre la Vierge et Jean l’Evangéliste. Ils sont représentés inconsolables, le visage entre les mains, témoignant de l’intense douleur causée par la mort du fils de Dieu. Le soleil et la lune, perdus eux aussi, assistent à l’événement universel.
– L’image suivante, sur la droite, parle de la résurrection, qui a déjà eu lieu, du Christ lui-même. Les femmes, qui vont au tombeau, le trouvent vide ; les soldats, stupéfaits, se font discrets devant la prestance de l’ange qui, avec pouvoir et autorité, annonce Pâques.
– En regardant le récit suivant, nous pouvons voir sur le mur de droite les uniques vestiges des fresques d’origine aujourd’hui disparues. Il n’en reste que quelques fragments, mais cela nous permet néanmoins d’imaginer les couleurs vives et l’intensité des scènes sacrées et mystérieuses, représentées ici il y a mille ans.
– En face de l’abside Ouest, on nous propose la figure du Christ sur le trône, qui formellement, remet les clefs à saint Pierre et le livre de la parole à saint Paul. Ces personnages, plus que les autres, nous rappellent, dans la forme et la posture, la ressemblance de notre ciboire avec celui de Sant’Ambrogio à Milan.
– Sur le dernier fronton le Chris vainqueur du mal, soutenu dans l’amande par deux anges, tient le rouleau de la vie.
– Dans le ciboire, la voûte céleste est soutenue par quatre anges retenant les vents ; dix-huit élus entourent le symbole du sacrifice. Certains d’entre eux ont une cape rouge, tandis que d’autres en portent un blanche parce qu’ils l’ont lavée dans le sang de l’agneau.

7) Cripte

– La crypte se trouve dans la partie orientale de l’église. On y accède par un escalier raide qui mène à une salle divisée en trois nefs par six colonnes et des voûtes d’arêtes.
– Autre fois la crypte a été également utilisée comme chapelle en hiver ou la nuit, car, un peu comme une cave, elle était plus chaude que la basilique. Malheureusement, elle en avait également les défauts, en particulier le taux d’humidité, qui a presque complètement détruit l’importante iconographie de stuc qu’on pouvait y trouver.
– Naturellement peu illuminée, en hiver et la nuit les images en stuc des colonnes et des murs devaient créer, grâce aux mouvements des flammes des torches et des lanternes, un mystérieux et fascinant clair-obscur vague et étrange.
– Il ne restent que peux témoignages des decorations en stuc. Sur la gauche de l’autel on peut voir l’épisode de l’histoire de la présentation de l’enfant Jésus au temple. Parmi les personnages, intact il ne reste que Siméon, qui devant le temple de Jérusalem, ouvre ses bras pour accueillir l’enfant.
– Au centre, entre deux colonnes carrées anciennes et ouvragées, derrière l’autel, se déroulent deux registres séparés d’images. Plus bas, le sacrifice du Christ sur la croix.
– Un incendie n’a laissé que quelques traces des membres du Sauveur sur la croix d’où sortent des bourgeons, soulignant encore plus, comme dans un pitié de Michel-Ange, la souffrance de la Vierge et de saint Jean et l’incrédulité des deux soldats.
– Au-dessus, l’histoire plonge dans la foi médiévale de la Dormitio Virginis. Selon la description populaire de l’époque, la Vierge, qui dormait entre le Christ et les apôtres, a été transportée directement dans la Jérusalem céleste par deux anges. Ils soutient un petit drap sur lequel il y a une petite tête qui représent, avec simplicité et naïveté, l’âme de la Vierge.
– Sur le mur sud, avant que furent construits le porche et l’escalier extérieur, où le soleil et sa lumière pouvaient atteindre l’intérieur directement par les vitraux, on préféra encore les fresques.
– C’est ainsi que, parmi les quelques représentations des personnages restants, vous pouvez encore découvrir et apprécier l’harmonie et l’équilibre esthétique et chromatique de sainte Agnès, avec sa lanterne et sa réservoir d’huile qui attend la venue du Christ. C’est certainement une des plus belle et délicate représentation en fresque de toute la période de l’art roman.

8) Oratoire de Saint-Benoît

– Il nous reste maintenant la visite de l’oratoire de Saint-Benoît.
– L’oratoire de Saint-Benoît a été construite au XIe siècle, peut-être quand l’archevêque de Milan, Arnulf III, se réfugia dans le couvent, mais dans la vallée, existait déjà depuis de nombreuses années le monastère de San Calocero. L’architecture a un plan particulier, en forme de croix, avec trois absides.
– L’intérieur est complètement dépouillé, à part les fresques de l’autel et, derrière celui-ci, des petites traces presque illisibles d’une icône du début du XVIIe siècle.
– Sur le front de l’autel est peint, sur un fond bleu, une Deesis byzantine. On y voit le Christ ressuscité entouré de la Vierge et saint Jean­-Baptiste.
– Sur le côté droit de l’autel on trouve la seule icône reconnaissable de Saint-Benoît. Saint-André est de l’autre côté. L’oratoire de Isella, un des nombreux lieux de culte sur le territoire de Civate, lui a été consacré.


– Ainsi se termine cette courte visite au complexe de San Pietro al Monte. Si vous désirez de plus amples renseignements vous pouvez trouver ici un guide qui vous fournira un parcours plus complet, il contient également des notes plus approfondies. Vous pouvez consulter également le site Internet des « Amici di San Pietro », l’Association que depuis plus de trente ans s’occupe de la préservation, de l’entretien et de la restauration du complexe de Civate.
– Chaque don, librement laissé par les visiteurs, est bien sur destiné aux restaurations les plus urgentes de San Pietro al Monte.

– Merci.